La langue monégasque, son origine et sa typologie
Fiorenzo Toso, Université de Sassari (Italie)
Le monégasque (munegascu) est un dialecte de type ligure occidental étroitement lié au vintimillois, en particulier à ses variétés rurales. Dans le contexte de l'Italie septentrionale, son caractère est confirmé par le partage de tous les traits phonétiques typiques de la Ligurie : palatalisations de BL-, PL-, FL- en gi-, ci-, sci-, conservation des voyelles atones et finales, passage -L-> -r- avec affaiblissement ultérieur en -r- palatale qui intéresse aussi -R- primaire.
Dans le contexte des parlers ligures, entre les traits « occidentaux » du monégasque on rappelle le passage commun de -LI- et -CL- en -y-, la délabialisation de QU-, GU-, l’absence de dyphtonguaison de E long tonique en syllabe ouverte et de velarisation de -N-: de ces traits, les deux premiers identifient en particulier des dialectes ligures « occidentaux extrêmes » (de Vintimille à Taggia sur la côte), les deux autres sont présents même de Taggia à Finale en opposition au type génois. Le caractère « rural » le plus significatif par rapport au vintimillois est en monégasque l’évolution de GE, GI, DI, J en -gi-, partagé par les hameaux de Vintimille contre la variété urbaine, qui a -z- comme en génois. Parmi les traits spécifiques du monégasque dans le contexte des dialectes ligures – pour ne citer que la phonétique – il faut mentionner les passages e > i (sira ‘soir’) et -i- > -ü- en position initiale, par exemple en ce qui concerne la préposition ünte (ligure commun inte).
Si l’emplacement du monégasque dans le cadre des dialectes ligures est très clair, reste cependant ouverte la question de sa relation avec les variétés des centres voisins: les caractères du monégasque, ouvertement ligures, s’opposent à ceux du dialecte de Menton, située entre Monaco et Vintimille, caractérisé par des structures de type ligure «alpin» (partagés donc par les dialectes de l’arrière pays en opposition au ligure de la côte) entrelacées et mêlés à des traits occitans.
Le monégasque apparaît donc comme le résultat d’une colonisation, qui eut lieu à partir de 1215 par la création du bourg de Monaco par des colons génois. La population s’est enrichie ensuite d’apports allogènes, d’origine ligure, du comté de Vintimille en particulier.
Néanmoins, la définition d'«îlot linguistique» est impropre pour la Principauté, en premier lieu parce que dans le dialecte contigu de Menton il ya cependant des éléments ligures très visibles (bien que de type différent), qui soulignent la transition entre les domaines italo-roman et gallo-roman ; mais aussi parce que, à partir du peuplement médiéval de Monaco, les relations constantes avec la partie plus proche de la Ligurie, à travers les siècles, ont provoqué des contacts dialectaux très forts: en raison même des petites distances entre Monaco et Vintimille, il faudrait parler plutôt d’une situation de «presque-île».
Si le caractère ligure du monégasque n’a jamais été sérieusement remis en question, la nature des relations avec les parlers occitans s’avère complexe. La composante lexicale dérivé de l'occitan est en effet importante, mais elle apparaît très souvent comme le résultat d’une apportation successive aux conditions linguistiques de base : en outre, il faut évaluer cette contribution en tenant compte des convergences ligures-occitanes en général, et en particulier de celles entre l’ouest de la Ligurie et le dialecte nissard, qui réduisent beaucoup l’impression d’une forte « occitanisation » du lexique monégasque.
La présence même de nombreux allotropes semble plutôt identifier, au moins initialement, des phénomènes de variation essentiellement sociolectale: c’est le cas par exemple de la présence de doublets du type pescaù / pescaire, caciaù / caciàire, segaù / segàire avec les deux évolutions concurrentes, ligure et occitane, du suffixe -TORE(M). Dans d’autres cas, la participation aux isolexes occitanes n’implique pas une adhésion à la phonétique: le verbe ciürà 'pleurer' correspondant au provençal ploura et absent en Ligurie (où il y a cianze), présente néanmoins la typique palatalisation ligure de PL- .
Le thème des changements à caractérisation diastratique, coïncide en monégasque avec des implications diatopiques : le monégasque de la Roca de Mùnegu est en effet caractérisé par un plus fort prestige, mais aussi par certains traits phonétiques et lexicaux originales par rapport au dialecte parlé dans le passé dans la zone rurale d’i Murin (l’actuel Monte-Carlo).
Entre autres choses, la variété « rurale » semble avoir accueilli à partir du XIXe siècle, en rapport très étroit avec les exigences du développement touristique de Monaco, des éléments liés à une plus massive immigration de la Riviera di Ponente, et même quelques éléments plus visibles d’origine niçoise, bien qu’on ne puisse parler en effet, ni historiquement ni aujourd’hui, de l’utilisation «traditionnelle» d’une variété occitane dans la Principauté.