Eléments de grammaire monégasque
Éliane Mollo, Dominique Salvo
Graphie et Grammaire
Lire le monégasque
Les principes et les bases de la graphie monégasque ont été donnés en 1927 par le premier écrivain du pays Louis Notari dans A Legenda de Santa Devota. Par la suite, quelques modifications ont été apportées par la Commission pour la Langue Monégasque.
L’accent
L’accent écrit ' (cf. è) est l’accent tonique du mot. Il ne change pas le timbre de la voyelle comme en français. L’accent régulier (sur l’avant-dernière voyelle écrite) ne se marque pas, seules les irrégularités et les ambigüités (monosyllabes) sont signalées.
Ex : canta "il chante" mais cantà "chanter " ; Tintìn e u capitani " Tintin et le capitaine " mais Stocafì è u capitani "Haddock est le capitaine".
La graphie
- Les consonnes
La graphie des consonnes est comparable à celle des langes italiques (sauf j cf. ci-dessous) et z cf. z français / z / de zoo ou s entre deux voyelles cf. Fr. rose. Ainsi c et g devant a, o, u, ü, œ, et ch et gh devant i, e, se lisent respectivement / k / cf. kaki et / g / cf.Fr. gui , It. ghirlanda ; ci et gi devant a, o, u, ü, œ, et c et g devant i, e, se lisent / ʧ / cf. ciao, Tchad, et / ʤ / cf. jazz ; sci devant a, o, u, ü , œ et sc devant i, e, se lisent / ʃ / cf. Fr. chant, It. sciarpa et j se lit toujours comme en français / Ê’ / cf. je.
Par ailleurs, le système phonologique monégasque (l'organisation des sons de la langue) possède : à l'initiale r, cf. r Fr. (non roulé). Entre deux voyelles il distingue rr qui se prononce comme le r initial ex : terra, /t-e-r-a/ "terre" et un r proche du l : r palatal / Å™ /écrit r ou l ex : tera ou tela "toile", scara ou scala "échelle", murìn ou mulìn "moulin".
Quelques mots ont gardé l’étymologie latine ce qui permet d’ailleurs de distinguer certaines occurrences : puçu < puteus "puits" mais pussu < pulsus "pouls", qandu "quand ", qü "qui ". Le monégasque ne possède pas de géminées sauf (cf. ci-dessus rr) et ss /s/ entre deux voyelles cf. pussu.
- Les voyelles
La graphie vocalique est aussi calquée sur celle des langues italiques et romanes cf. e = é. A noter le son /y / du français = ü, lüna " lune", le son /u/ français = u, Luì "Louis". Nous signalerons une voyelle spécifique, ë, prononcée comme le i :, i long anglais dans " see ", actuellement prononcée [e] : sëra " soir " peut se lire [si:ra] ou [séra]. La voyelle œ se lit é, certains locuteurs prononcent /ø/, cf. Fr. feu. Enfin toutes les voyelles orales du monégasque peuvent être nasalisées. Elles se lisent à partir de la voyelle orale ; ex : Tintìn / TÄ©tÄ© / avec i nasal, ben / bɛ̃ / avec e nasal cf. Fr. examen, le n final écrit de syllabe ou de mot ne se prononce donc pas.
Chaque lettre se lit séparément ; ex : aura "maintenant" se lit a-u-r-a ; maigràn " grand-mère" se lit ma-i-gran.
La Grammaire
Le verbe
Les phrases sont construites comme dans toutes les langues latines.
Comme en italien et en espagnol, le verbe n’est pas précédé d’un pronom. La désinence sert de repère pour les personnes : -u = je, -i = tu, -a/-e = il, -amu/-ëmu =nous, -e/-i = vous, -un = ils. Le pronom indique l’emphase : scutu "j’écoute", min scutu "moi j’écoute". L’utilisation des temps est précise. Contrairement au français, le présent n’indique pas l’aspect narratif ou historique, il n’exprime que le présent ponctuel et réel.
Les modes sont ceux des langues latines. Le conditionnel connaît deux formes dont une restreinte : purerëssa, purëssa que l’on distingue du subjonctif imparfait, puscëssa. Syntaxiquement, le subjonctif est employé comme en français : fò che piye " il faut que je prenne ".
La concordance des temps est utilisée de façon stricte : si le verbe principal est au présent ou au futur, le verbe de la coordonnée est au présent ; si le verbe principal est au passé, le verbe de la coordonnée est au passé, aux modes subjonctif ou indicatif selon le cas.
Par ailleurs, celui qui parle gère ses impressions. Or le capitaine Haddock mêle son discours à celui de son aïeul. En français, tout est au présent. En monégasque, le présent indique que le capitaine revit dans son délire l’aventure. Le passé est réservé à la narration ou au discours du chevalier de Hadoque lorsqu’il est clairement identifiable.
Le groupe nominal
- Les articles sont : au singulier, u (l’), a (l’), ün, üna (ün’, ‘na) ; au pluriel, ë, de à ne pas confondre avec d’ë " des " = de les.
- Le possessif est codifié de façon différente du français. Il n’est pas transcrit lorsqu’il est évident : on ne dit pas " je mets mon chapeau" mëtu u me capelu mais " je me mets le chapeau " me mëtu u capelu. On dit très exceptionnellement " mon cher ami " u me caru amigu, à la rigueur "cher ami " caru amigu si l’on connaît bien la personne. On emploie vuscià, formule de politesse qui correspond à " cher(e)(s) ami(e)(s).
- Le choix du démonstratif est conditionné par le rapport au locuteur : achëstu " ce, cet " et ses formes réduites (chëstu, stu) indique la proximité de l’objet, achëlu, chëlu signifie l’éloignement. Pour toutes les autres personnes on emploie toujours achëlu.
Le temps et l’espace sont fortement marqués donc si l’on parle d’idées ou d’événements récemment exprimés, on emploie ailò d’ailì " ce qui est arrivé il y a un moment " et aiçò d’aiçì " ce qui est arrivé il y a peu " et non pas le démonstratif usuel. Ces formes sont très fréquemment utilisées.
Le Discours
Comme nous venons de l’évoquer, le monégasque, surtout utilisé à l’oral, donc dans le cadre de l’énonciation et indépendamment du style propre à chacun, donne par des règles grammaticales précises un rôle privilégié au locuteur.
Cet ouvrage étant essentiellement constitué de dialogues, nous avons été dans l’obligation d’interpréter les conversations dans ce cadre linguistique. Par ailleurs, d’un point de vue sociolinguistique, le monégasque fonctionne comme un dialecte donc comme une langue identitaire. Les niveaux socioculturels qui conditionnent tant les « grandes langues » s’effacent dans notre parler où l’on exprime son appartenance à la communauté toute entière et non sa propre relation à un groupe social déterminé. Ainsi, le capitaine Haddock et Nestor ont sensiblement le même type de langage. La langue apparaît comme plus libre : il est plus important de parler un monégasque précis et vrai correspondant à une réalité langagière plutôt qu’une langue conventionnelle, aseptisée, qui ne refléterait ni le mode de communication réel ni l’esprit de la langue. Par voie de conséquence, nous ne sommes pas interdit d’employer des mots ou expressions qui peuvent être considérés de bas-niveau comme : babulu, belinùn, abelinau " couillon, sot, nigaud ", stronçu "etron", braghe mole "(litt) pantalons mous", bulicuye "ennuyeux, tracassier, sot"
< bulegà "remuer" + cuye, i ò turna a u cü " je les ai encore au cul " pour " ils sont de nouveau à mes trousses" car la notion de vulgarité ne s’inscrit pas dans la même hiérarchie de niveaux de langue que celle du français.
Enfin, si l’on compare la traduction au texte français, on remarquera que dans certaines phrases, l’ordre des constituants est changé afin de coller aux habitudes langagières du monégasque.
Calquer le monégasque sur le français donnerait aux phrases et au discours un aspect non naturel, fabriqué et plaqué.
Éliane Mollo, Dominique Salvo – 2011
Bibliographie
Frolla, L. – 1963, Dictionnaire monégasque- français, Monaco, Imprimerie Nationale de Monaco
Arveiller, R. – 1967, Etude sur le parler de Monaco, Monaco, Imprimerie Nationale de Monaco
Barral, L. – 1983, Dictionnaire français-monégasque, Monaco, Imprimerie Testa
Barral, L. et Simone S. – 1994, Un vêtement tout fait – Recueil d’expressions
Ün vestiu bel’ e fau – Culana d’espressiue, Vintimille, Tipolitografia ligure